Chargé de l'Immigration, il est l'un des ministres les plus sulfureux. Ancien socialiste, il a fait de Nicolas Sarkozy son modèle. Voilà que, dans un exercice d'écriture inédit, son ex-femme dresse un portrait loin de l'image qu'il s'efforçait de donner. Non, Besson n'est pas un homme sans histoires. Mercredi 16 septembre 2009, 19 h 55, TF 1. Plus que quelques minutes avant la prise d'antenne. Sur le plateau du journal, Eric Besson s'est assis face à Laurence Ferrari. Le ministre de l'Immigration affiche un léger sourire, l'air plutôt détendu. D'ailleurs, il ne fait pas semblant : il se sent vraiment confiant. Il vient parler d'un sujet qu'il maîtrise bien, la fermeture imminente de la "jungle" de Calais, cette zone de non-droit où s'entassent des milliers de migrants en situation irrégulière. Pas de stress, donc, malgré l'ampleur de l'événement: c'est son premier "20 heures" de TF1, après bientôt quinze ans de vie politique ! A l'échelle d'une carrière, cette invitation lui vaut sésame pour la cour des grands. Désormais, il fera partie de "ceux qui l'ont fait". Las! Laurence Ferrari se tourne soudain vers lui: "Au fait... Ségolène Royal, qui était notre invitée hier soir, a fait sept millions de téléspectateurs." D'un coup, l'ancien dirigeant socialiste sent sa poitrine se comprimer. D'un coup, Eric Besson, réduit à son statut d'invité parmi d'autres, mesure l'ampleur du défi. Faire mieux - au pire, faire aussi bien - que l'ex-candidate socialiste à l'élection présidentielle, elle qui a été à l'origine de l'une de ses plus grandes humiliations publiques, en 2007. L'angoisse. "Tu as fait un point de plus que Royal en part de marché", lui indiquera le lendemain un journaliste de la chaîne. Décidément, une soirée à marquer d'une pierre blanche. C'est Jean-Claude Dassier, lorsqu'il était encore le patron de l'info sur TF1, qui avait téléphoné au ministre de l'Immigration, quelques mois après son entrée en fonction: "J'aimerais que nous déjeunions pour faire connaissance", lui avait-il demandé. C'est Jean-Claude Dassier, notoirement proche de Nicolas Sarkozy, qui avait signifié à Eric Besson, dès avant l'été, son changement de dimension, la manière dont ses nouvelles fonctions lui donnaient "plus d'étoffe" et l'amenaient à devenir un invité potentiel du JT le plus sacralisé de France. Un adoubement médiatique presque aussi important qu'un compliment du président. Et qui est arrivé à point nommé pour Besson, au coeur de l'actualité depuis la rentrée: entre son refus d'appliquer les tests ADN, un doigt d'honneur qui a fait le tour de la planète Net et la fermeture hypermédiatisée de la "jungle" de Calais, le ministre de l'Immigration n'est plus un inconnu. Chouchouté par Nicolas Sarkozy, cité parmi les successeurs potentiels de François Fillon à Matignon, régulièrement complimenté en public et en privé par le chef de l'Etat, Eric Besson est devenu, en un peu plus de deux ans, l'un des hommes clefs de la galaxie Sarkozy. Tant au gouvernement qu'à l'UMP. "On aurait cru entendre parler le président" Sa méthode? S'inspirer du président. Le copier. Lui ressembler. En devenir une caricature, jusque dans ses tics. L'imiter, sans même, peut-être, s'en rendre compte. Se comporter en "pro", comme il dit, quand tant d'autres restent "des amateurs". Il veut être dans l'action et s'applique à maîtriser -au doigt près!- sa communication. Il n'a qu'un but: montrer au chef de l'Etat que celui-ci peut compter sur lui au moment où il en a besoin, à la place où il en a besoin. "Besson colle à l'image que Sarkozy se fait du "job" au moment où il le lui confie, note un ancien ministre. Il fait les choses comme le chef de l'Etat les aurait faites, c'est pour cette raison qu'il est apprécié." Comme Nicolas Sarkozy a fermé Sangatte, en décembre 2002, déclarant sur toutes les télévisions que le "problème était réglé", Eric Besson a rasé le camp de Calais, à grand renfort de micros et de caméras. Plusieurs semaines de travail pour préparer un plan média à la hauteur de l'événement: un effet d'annonce, dès la semaine précédente, sur TF1, les journalistes concernés alertés la veille, des interviews en direct toute la journée sur les radios et les télés pour justifier l'action des forces de l'ordre; bref, la fermeture de la jungle "comme si vous y étiez", entendra-t-on même sur TF1 - le ministre descend de l'hélicoptère, le ministre avance parmi les policiers, le ministre marche au milieu des restes du campement. "Tu as raison de le faire, l'avait encouragé le président quelques jours plus tôt. Mais si tu le fais, fais-le à fond et fais-le bien." On n'est jamais mieux résumé que par soi-même. Lorsqu'il prend la parole au meeting du Touquet, organisé le 24 septembre en marge des journées parlementaires de l'UMP, Eric Besson a des accents sarkozystes: "A un moment, c'était frappant, on aurait cru entendre parler le président", s'amuse un participant. Le ministre de l'Immigration sera d'ailleurs l'un des orateurs les plus applaudis! Avec les journalistes, dont il fuyait autrefois la proximité, il a appris à changer: désormais, il connaît ceux qui suivent son domaine d'activité, il les appelle, il entretient avec eux une forme de complicité. Comme, avant lui, un ministre nommé... Sarkozy. Eric Besson pousse le mimétisme jusque dans ce goût - parfois douteux - de la provocation, cette manière virile de s'affirmer devant une assemblée qui affiche son hostilité: "Vous avez choisi de venir à Calais. J'allais dire 'Welcome', mais j'ai peur que ce soit mal interprété", lance-t-il à des journalistes réunis à la sous-préfecture de Calais, allusion au film homonyme de Philippe Lioret (l'histoire d'un homme aidant un migrant) qui avait suscité une polémique sur le délit de solidarité. Il n'est pas moins bravache pendant la réunion du groupe UMP, le 15 septembre à l'Assemblée, alors qu'il vient d'essuyer les critiques des députés qui n'ont pas apprécié sa décision de ne pas appliquer les tests ADN : "J'ai l'impression que c'est comme au PS, ici, les soutiens sont privés et la critique est publique... Car j'ai reçu beaucoup de mails et de SMS de soutien !" Dès le lendemain, en Conseil des ministres, Besson reçoit l'appui de Nicolas Sarkozy: "Evidemment qu'Eric a eu raison, c'était inapplicable ce truc!" Pour mettre ses pas dans ceux du chef de l'Etat, il est donc impératif que Mère Nature vous ait doté d'une belle paire de "cojones", pour reprendre le mot qu'utilise Sylvie Brunel, l'ex-femme d'Eric Besson, dans son livre Manuel de guérilla à l'usage des femmes, et vous ait appris à ne pas hésiter avant de les poser sur la table. Lui-même emploie l'expression plus souvent qu'à son tour. Longtemps, Besson l'a joué profil bas, simple secrétaire d'Etat, aussi prudent qu'effacé. Au sein même de l'équipe gouvernementale, il a toujours veillé à rester en retrait: pas de cancan sur la vie privée du président, pas de blague indélicate, pas de beuverie entre amis bien placés. Pas de beuverie en général, d'ailleurs, et pas beaucoup d'amis à Paris non plus. Boulot, boulot, boulot. Efficacité, disponibilité, crédibilité. Le poids du passé, aussi. Au point d'être un peu catastrophé, à la veille de la parution du livre de son ex-femme, du voile levé sur sa nature profonde, séducteur invétéré, égocentrique, orgueilleux, coléreux parfois. Eric Besson, un hypocrite en politique? Il avertit Fillon et Sarkozy, soucieux de ne pas passer pour un dissimulateur, mais simplement pour un homme dont la discrétion garantit le sérieux. Besson a d'ailleurs déjà commencé à changer en décembre 2008, lorsque le chef de l'Etat lui a annoncé qu'il voulait lui confier la succession de Brice Hortefeux au ministère de l'Immigration et un poste au sein de la direction de l'UMP. "A partir du moment où l'on est dans l'avion, lorsqu'on vous propose d'aller dans le cockpit, ça ne se refuse pas", explique-t-il alors à sa femme et à ses enfants, anéantis par ce changement d'affectation. Ministre de l'Immigration dans ce gouvernement, après avoir été un dirigeant socialiste: c'est ce que Nicolas Sarkozy aime le plus chez lui, la transgression poussée à l'extrême. En quelques semaines, Besson s'adapte à son nouveau statut, à sa nouvelle image. Il apprend à donner le sentiment qu'il "habite la fonction", ce que dit de lui Jacques Séguéla, avec qui il a déjeuné quelquefois. Au sein de l'UMP, où il est l'un des adjoints de Xavier Bertrand, il travaille à s'intégrer: "Aujourd'hui, il est l'un des piliers du mouvement, confirme Bertrand. Les militants l'ont totalement accepté. Et je mets quiconque l'entend parler au défi de trouver son origine politique." Est-ce le zèle des convertis? Pour un peu, on croirait qu'il a toujours été de droite. "Eric, c'est une lame", dit de lui Nicolas Sarkozy L'avantage, lorsqu'on est dans les petits papiers du président, c'est qu'on est automatiquement dans ceux de Xavier Bertrand: le secrétaire général de l'UMP confie ainsi à Besson le soin de préparer, pour l'université d'été de Seignosse, un exposé sur l'un des sujets de prédilection du ministre, le grand emprunt. Bertrand défend ostensiblement Besson devant les députés, le jour de la réunion houleuse du groupe consacrée à la non-application du décret sur les tests ADN. Et il est le premier à rappeler que le chef de l'Etat a félicité Eric Besson pour son action, deux lundis de suite, le 21 et le 28 septembre, à l'occasion de la réunion des dirigeants de la majorité: "Eric, c'est une lame", dit et redit de lui Nicolas Sarkozy. Un avis pour le moins tranché, mais qui se retourne contre lui : voilà qu'il commence - aussi - à compter des ennemis à droite, lui qui incarnait le traître aux yeux de toute la gauche. Au moment de la fermeture de la "jungle", par exemple, certains rappelaient, au sein de l'équipe gouvernementale, que Brice Hortefeux s'y était refusé en son temps, persuadé qu'en fermant le camp on déplaçait le problème au lieu de le résoudre. Qu'à cela ne tienne, Besson emmène quelques journalistes, par deux fois, visiter les adolescents sortis de Calais et décemment installés dans des foyers. Jean-François Copé lui cherche querelle? Les compliments réitérés de Nicolas Sarkozy à son encontre répondent pour lui. "Je l'emmerde, ce connard", lâche, pour sa part, le ministre, en petit comité. Une expression chère au coeur du chef de l'Etat, d'autant qu'il déteste cordialement le président des députés UMP. Partager les amis de Sarkozy, c'est courant. Avoir les mêmes ennemis, c'est presque une stratégie.