Au lycée Alfred Costes de Bobigny, on expérimente depuis aujourd'hui la «cagnotte» pour lutter contre l'absentéisme. Qu'en pensent les élèves? Réactions.

Pause midi au lycée Alfred Costes de Bobigny. La 1ere année de Bac pro électrotechnique sort, en casquettes-capuches sous la pluie battante. Ce matin, ils étaient «15 sur 26», a compté Okan, 18 ans. «C'est tout le temps comme ça le matin.» Pour tenter d'en finir avec ces classes à moitié vides, le lycée expérimente, à partir de cette semaine, le projet «incitation collective».

Comprendre une cagnotte attribuée à la classe dans son ensemble, alimentée ou réduite tout au long de l'année selon le comportement des élèves (présence, respect, travail....). 2000 euros au départ, jusqu'à 800 euros par mois ensuite, et un plafond de 10.000 euros à l'arrivée. L'argent récolté financera le passage du code de la route pour chacun.

Le proviseur, qui a déjà instauré des sorties sur circuit automobile pour motiver ses élèves, veut y croire: «Ce sont des gamins qui, souvent orientés par défaut, n'ont pas envie d'être là. On ne peut pas les forcer, alors on va tenter ce projet. Je ne vois pas ce qu'il y a de choquant là-dedans: quand on promet un voyage scolaire à une classe si elle se comporte bien, c'est exactement la même chose.» Et de rappeler aussi que l'argent existe déjà à l'école, via l'apprentissage.

«Déjà pas de quoi payer des tables» A Alfred Costes, deux classes sur 26 sont concernées, les plus désertées: électrotechnique et production imprimée. Les intéressés n'ont pas l'air franchement convaincu. «Personne n'y croit, balaie Ludovic, 18 ans, en électrotechnique. Vu comme c'est le bordel, la classe finira l'année avec 10 euros. On peut pas forcer les gens à se lever le matin.» «Ça va marcher un mois, et puis les vieilles habitudes vont reprendre le dessus», prédit aussi Francesco, 20 ans, en production imprimée. Sans compter que, s'inquiète Ludovic, «on nous met une carotte sous le nez mais qui nous dit qu'à la fin on verra l'argent? Ils ont déjà pas de quoi payer des tables!»

Dans le hall, un petit groupe grince un peu des dents. En terminale communication graphique, la classe «qui marche le mieux», ils digèrent mal cette affaire de cagnotte. «Nous on bosse, on vient. On mérite mieux que ceux qui foutent la merde non? C'est vrai quoi, nous aussi on a besoin de passer le permis», lâche Charles, 21 ans. «Soit on le fait pour tout le monde, soit pour personne.»

«J'aurais été super riche» Sort un groupe d'enseignants, qui travaillent dans une structure pour «décrocheurs». Ce qu'ils pensent de la cagnotte? Soupirs. «C'est un peu naïf», se lance Jean-Baptiste. «Ça ne pourra marcher qu'un temps.» D'abord «choquée», sa collègue Arianne dit «comprendre qu'en Seine-Saint-Denis, où les jeunes peuvent se faire beaucoup d'argent en dehors de l'école, par le trafic, on ait pensé à attirer les élèves par l'argent. Mais ça ne remplacera pas un travail de fond».

Sceptiques sur l'efficacité de la mesure, les élèves ne s'encombrent pas d'états d'âme s'agissant du mélange école-argent. A tout prendre, ils auraient même préféré une cagnotte individuelle. «Pour que les branleurs ne pénalisent pas les autres.» «Moi je viens en cours, à la fin de l'année j'aurai été super riche», s'enflamme Ludovic. Une chose pourtant le chiffonne: son permis, il l'a déjà. Son copain Okan aussi, mais lui a déjà négocié son coup. Si cagnotte il y a, il passera le permis moto.