Jeux d’argent. L’Assemblée étudie mercredi le projet de loi dérégulant le marché des paris sportifs et du poker sur Internet. Une libéralisation fumeuse et très idéologique, aux répercussions mal calculées, qui suscite des appétits. C’est un drôle de projet de loi que le gouvernement présente aujourd’hui à l’Assemblée nationale. En ce jour où les parlementaires reprennent le chemin de l’Hémicycle, on aurait pu s’attendre à ce qu’ils planchent sur ce qui inquiète le plus les Français : chômage, crise économique, ou même réchauffement climatique. Et puis non. Aujourd’hui, mercredi, c’est paris. Pas le grand. Non, tous les petits et gros paris sportifs qui se jouent au quotidien sur Internet. Jusqu’à présent, hors des points physiques du PMU ou de la Française des Jeux (FDJ), le pronostiqueur du tiercé ou du match de foot du week-end pouvait miser aussi sur internet, via uniquement les sites des monopoles d’État, FDJ ou PMU. Étonnamment, pour le gouvernement, la libéralisation de ce secteur, lancée dans la perspective de la Coupe du monde de foot en juin prochain, prime sur toutes les autres préoccupations du moment.

Bientôt 2 milliards par an

Difficile de trouver une justification qui tienne la route pour cette nouvelle marotte de la majorité. À part des considérations idéologiques et, bien sûr, l’appât du gain. Car le gâteau, jusqu’à présent réduit (autour de 500 millions d’euros par an), ne demande qu’à grossir : de 1,5 à 2 milliards d’euros par an selon le budget. Une centaine de sites Internet sont sur la ligne de départ. Sans compter le mouvement sportif (clubs de foot en tête) et de nombreux médias qui aimeraient bien faire sauter la banque. Au départ, il s’agissait de répondre à une menace émanant de Bruxelles, agacé de voir le marché français encore aux mains de deux entreprises publiques. Et ce alors que d’autres opérateurs en fonction chez nos voisins, eux privés et souvent enregistrés dans des pays fiscalement peu regardants, étaient prêts à bondir sur le portefeuille de nos parieurs en ligne. Une sanction fut bien évoquée contre la France. Elle fut balayée il y a un mois par un arrêt de la Cour européenne de justice, légitimant le monopole d’État sur le marché des jeux en ligne. Dans le droit communautaire donc, rien ne justifie le projet de loi français.

Retour de la polémique HADOPI ?

D’autant plus que, dans un deuxième effet pif-paf, l’arrêt de la Cour européenne balaye l’autre grand argument avancé par les partisans de la libéralisation du secteur. Selon eux, une « ouverture régulée » du marché constituerait l’arme fatale contre les paris illégaux sur Internet. On ferait entrer le loup dans la bergerie, mais en lui limant les crocs. Manque de chance, la haute juridiction estime que seul un monopole d’État est vraiment efficace contre l’argent sale. Car, question garde-fou, si le projet de loi français en contient bien, certains pourraient heurter le Conseil constitutionnel. Notamment le droit confié à la nouvelle Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) de bloquer l’accès à des sites ne disposant pas de son agrément. Et ce sans décision de justice. Déjà des associations, telle la Quadrature du Net, montent au créneau contre ce nouveau filtrage du Web. Du coup, le texte des paris sportifs en ligne pourrait faire rebondir les polémiques de la loi HADOPI.

Pire qu’une drogue chimique

Enfin, la quatrième justification prêterait à sourire si le sujet n’était pas si grave. L’ouverture des jeux d’argent en ligne donnerait un coup de fouet, y compris financier, à la lutte contre les addictions. Les 600 000 Français accros pathologiques aux paris sportifs, y compris des mineurs, apprécieront sûrement de voir fleurir de nouveaux sites de paris. Des sites qui auront en plus accès à la publicité. « Il serait aujourd’hui moins dangereux de couvrir de pavot tous les jardins publics de France que d’ouvrir à la publicité des jeux agissant de la même manière que les drogues chimiques », résume la députée socialiste et médecin hospitalo-universitaire, Michèle Delaunay.

La bataille parlementaire s’annonce âpre. La députée communiste Marie-George Buffet demande que ce texte soit « revu en profondeur, afin d’organiser, non pas une ouverture régulée à la concurrence, mais la maîtrise publique d’un secteur à haut risque pour nos concitoyens, en matière de santé publique, de protection des mineurs ou encore d’éthique des compétitions sportives ». Derrière le sujet apparemment anecdotique des paris sportifs sur Internet se cachent en fait des conceptions très différentes de notre société.